Le PaVé dans la mare

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Eugénie GRANDET de BALZAC

Texte de travail en atelier

mercredi 13 octobre 2010


GRANDET Écoute, Eugénie, il faut que tu me donnes ton or. Tu ne le refuseras pas à ton pépère, ma petite fifille, hein ? Je n’ai plus d’or, moi. J’en avais, Je n’en ai plus. Je te rendrai six mille francs en livres et tu vas les placer comme je vais te le dire... Tu répugnes peut être à te séparer de ton or, hein, fifille ? Apporte le moi tout de même. le te ramasserai’ des pièces d’or, des hollandaises, dés portugaises, des roupies du Mogol, des génovines ; et, avec celles que je te donnerai à tes fêtes, en trois ans, tu auras rétabli la moitié de ton joli petit trésor en or. Que dis tu fifille ? Lève donc le nez. Allons, va chercher le mignon. Vraiment, les écus vivent et grouillent comme des hommes : fa va, ça vient, fa sue, fa produit. Eugénie se leva, mais, après avoir fait quelques pas vers la porte, elle se retourna brusquement, regarda son père en face et lui dit

EUGENIE Je n’ai plus mon or.

GRANDET Tu n’as plus ton or ? (s’écria Grandet en se dressant sur les jarrets comme un cheval qui entend tirer le canon à dix pas de lui.)

EUGENIE Non, je ne l’ai plus.

GRANDET Tu te trompes, Eugénie.

EUGENIE Non.

GRANDET Par la serpette de mon père !

(Quand le tonnelier jurait ainsi, les planches tremblaient...)

GRANDET Eugénie, qu’avez vous fait de vos pièces ? (cria t il en fonçant sur elle.) EUGENIE Monsieur, (dit la fille aux genoux de Mr Grandet,) ma mère souffre beaucoup. Voyez, ne la tuez pas...

GRANDET Eugénie, quand votre mère sera couchée, vous descendrez.

EUGENIE Oui, mon père.

(Elle ne larda pas à venir, après avoir rassuré sa mère.)

GRANDET Ma fille, vous allez me dire où est votre trésor.

EUGENIE - Mon père, si vous me faites des présents dont je ne sois pas entièrement maîtresse, reprenez les, (répondit froidement Eugénie en cherchant le napoléon sur la cheminée et le lui présentant. (Grandet saisit vivement le napoléon et le coula dans son gousset.)

GRANDET Je crois bien que je ne te donnerai plus rien. Pas seulement ça (dit il en faisant claquer l’ongle de son pouce sous sa maîtresse dent.) Vous méprisez donc votre père, vous n’avez donc pas confiance en lui, vous ne savez donc pas ce que c’est qu’un père ? S’il n’est pas tout pour vous, il n’est rien. Où est voire or ?

EUGENIE Mon père, je vous aime et je vous respecte malgré votre colère mais je vous ferai humblement observer que j’ai vingt deux ans. Vous m’avez assez souvent dit que je suis majeure pour que je le sache. J’ai fait de mon argent ce qu’il m’a plu d’en faire, et soyez sûr qu’il est bien placé...

GRANDET où ?

EUGENIE C’est le secret inviolable, N’avez vous pas vos secrets ?

GRANDET Ne suis je pas le chef de famille ? Ne puis je avoir mes affaires ?

EUGENIE C’est aussi mon affaire...

GRANDET Au moins, quand avez vous donné votre or ?... Vous l’aviez encore le jour de votre fête, hein ?... Mais on n’a jamais vu pareil entêtement, ni vol pareil, (d’une voix qui alla crescendo et qui fit graduellement retentir la maison). Comment ! Ici, dans ma propre maison, chez moi, quelqu’un aura pris ton or ! Le seul or qu’il y avait ! Et je ne saurai pas qui ? L’or est une chose chère... Donner de l’or. Car vous l’avez donné à quelqu’un, hein ? A t on vu pareille fille Est ce moi qui suis votre père ? Si vous l’avez placé, vous en avez un reçu

EUGENIE Etais je libre, oui ou non, d’en faire ce que bon me semblait ? Etait ce à moi ?

GRANDET Mais tu es un enfant.

EUGENIE Majeure.

(Abasourdi par la logique de sa fille, Grandet pâlit, trépigna, jura puis, trouvant enfin ses paroles, il cria)

GRANDET Maudit serpent de fille ! Ah ! Mauvaise graine, tu sais bien que je t’aime, et tu en abuses. Elle égorge son père ! Pardieu ! Tu auras jeté notre fortune aux pieds de ce va nu pieds qui a des bottes de maroquin. Par la serpette de mon père, je ne peux pas te déshériter, nom d’un tonneau ! Mais je te maudis, toi et ton cousin, et tes enfants ! Tu ne verras rien arriver de bon de tout cela, entends tu !... Quoi ! ce méchant mirliflore m’aurait dévalisé... ! ... Elle ne bougera pas, elle ne sourcillera pas, elle est plus Grandet que je suis Grandet. Tu n’as pas donné ton or pour rien, au moins. Voyons, dis ? Eugénie, vous êtes chez moi, chez votre père. Vous devez, pour y rester, vous soumettre à ses ordres. Les prêtres vous ordonnent de m’obéir. (Eugénie baissa la tête.) Vous m’offensez dans ce que j’ai de plus cher... le ne veux plus vous voir que soumise. Allez dans votre chambre. Vous y demeurerez jusqu’à ce que je vous permette d’en sortir. Nanon vous y portera du pain et de l’eau. Vous m’avez entendu ? Marchez !...

(Il grimpa les escaliers et apparut dans la chambre de Mme Grandet, au moment où elle caressait les cheveux d’Eugénie...)

GRANDET Elle n’a plus de père, dit le tonnelier. Est ce bien vous et bien moi, madame Grandet, qui avons fait une fille désobéissante comme l’est celle là ? Jolie éducation, et religieuse, surtout. Hé, bien ! vous n’êtes pas dans voire chambre ? Allons, en prison, en prison, mademoiselle.

Mme GRANDET Voulez vous me priver de ma fille, monsieur ?

GRANDET Si vous la voulez garder, emportez la, videz moi toutes deux la maison. Tonnerre ! Où est l’or, qu’est devenu l’or ?... Que diable ! Un chef de famille doit savoir où va l’or de sa maison...

Mme GRANDET Monsieur, Eugénie est notre unique enfant, et quand bien même elle l’aurait jeté à l’eau...

GRANDET A l’eau ? cria le bonhomme, à l’eau ? Vous êtes folle, madame Grandet... Je décampe. Ma maison n’est plus tenable ; la mère et la fille raisonnent et parlent comme si... Brooouh ! Pouah ! Vous m’avez donné de cruelles étrennes, Eugénie ! cria t il. Oui, oui, pleurez ! Ce que vous faites vous causera des remords, entendez vous ? A quoi vous sert de manger le Bon Dieu six fois tous les trois mois, si vous donnez l’or de voire père en cachette à un fainéant qui vous dévorera votre coeur quand vous n’aurez plus rien que fa à lui prêter ! Vous verrez ce que vaut voire Charles avec ses bottes de maroquin et son air de n’y pas toucher ! Il n’a ni coeur ni âme, puisqu’il ose emporter le trésor d’une pauvre fille sans l’agrément de ses parent

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